Comme on vous le disait dans les précédents articles, notre volontariat prenait place dans la campagne népalaise. Ces quelques semaines étaient donc aussi un excellent moyen de nous plonger dans la vie rurale locale et de mieux la comprendre. Au quotidien, on côtoie les familles d’agriculteurs puisque nos voisins, comme la majorité des habitants de la vallée, vivent de l’agriculture. Ici, il s’agit surtout d’agriculture familiale et de subsistance. Ces activités modifient en profondeur le paysage : les montagnes sont littéralement sculptées en escaliers pour installer les cultures, et dans le creux de la vallée les rizières se déploient sur les rives de la rivière. Au total, 20 % de la surface du Népal est occupée par l’agriculture, notamment la plaine du Teraï au Sud du pays qui est la continuité de la plaine du Gange en Inde (zone particulièrement fertile). Cette surface de culture ne peut pas vraiment être étendue aujourd’hui, du fait de la géographie du pays (pas facile facile de cultiver dans l’Himalaya). Localement, on observe que les espaces qui ne sont pas encore aménagés laisse place à la jungle et à ses habitants : des singes au pelage brun notamment ! On assiste d’ailleurs à des conflits de territoires assez cocasses entre singes et paysans. Les singes viennent en effet voler des fruits ou des légumes dans les parcelles des agriculteurs. Lorsqu’ils sont pris sur le fait, la scène se finit toujours de la même manière : des agriculteurs qui poussent des cris d’animaux en lançant des pierres sur les malfrats, voire même qui allument des feux pour les éloigner. Les enfants de l’internat prenaient d’ailleurs un malin plaisir à aider les agriculteurs à chasser ces singes voleurs. 

Donnons quelques chiffres pour mieux comprendre l’importance du monde agricole népalais :

L’agriculture représente plus de 60% des emplois, c’est colossal. A titre de comparaison, c’est moins de 3% en France.

C’est plus de 25% du PIB, donc un secteur économique important et une source d’exportation.

Le riz est la première culture alimentaire avec 5 millions de tonnes par an.

Plus de 80% des exploitations sont de petites exploitations familiales.

Le salaire moyen au Népal est de 110$ par mois, ce qui fait 1320$ par année. Dans l’agriculture ça peut être moins.


Les activités agricoles de la région se font en polyculture. Les parcelles sont de petite taille, rien à voir avec les exploitations que l’on peut connaître en Europe. Cela est aussi dû aux dénivelés et au fait que la mécanisation n’est pas la norme. Les paysans cultivent de la pomme de terre, du blé, de la moutarde (pour l’huile) et bien sûr du riz. En quelques semaines, on a donc le temps de voir le paysage se transformer, car quand nous arrivons début février, c’est l’époque de la récolte des pommes de terre puis c’est la culture du riz qui se met en place. On voit donc les groupes de paysans s’activer les pieds dans l’eau pour planter dans les rizières. Et en quelques jours c’est toute la vallée qui se verdit !


Côté habitat, il est souvent impressionnant de constater la proximité entre les agriculteurs et leurs animaux. Car en parallèle de la culture, on trouve aussi de l’élevage de volailles, de chèvres et de boeufs. Il est donc possible de découvrir des maisons dans lesquelles la totalité du rez-de-chaussée est destinée aux bêtes, qui vivent dans la paille. Souvent, quand les maisons sont de plain-pied, les enclos des boeufs sont collés à l’un des murs extérieurs, où ils vivent sous un auvent. Dans ces campagnes, on découvre aussi des maisons traditionnelles où les murs ainsi que le sol sont composés d’une terre ocre. C’est rudimentaire mais c’est vraiment beau, à la forme arrondie des portes et avec d’autres détails, on devine que ces maisons ont été littéralement modelées. En discutant avec les propriétaires d’une de ces maisons traditionnelles, ils nous expliquent qu’ils sont obligés de faire des réparations régulièrement. La plupart des familles vivent donc simplement mais dignement. Mais nous ne pouvons pas ignorer la pauvreté extrème de certaines familles, des « maisons » plus que rudimentaires, composées d’une unique pièce à vivre, à cuisiner et à dormir où il n’est pas rare de voir les maigres poules cotoyer les enfants nus, sales et sans aucun doutes non scolarisés. Cette réalité est dure à accepter. 



A plusieurs reprises, on s’interroge quand même sur certaines pratiques agricoles, on comprend que l’utilisation d’intrants chimiques (engrais ou pesticides) est monnaie courante. Et si l’on voit des personnes utiliser des pulvérisateurs, on remarque surtout qu’elles ne portent aucune protection… Il y a donc de quoi se poser des questions, concernant la santé de ces paysans mais aussi sur l’état de leurs terres. Pramod, l’homme qui accueille et qui gère l’école et l’internat, nous explique d’ailleurs qu’une bonne partie des sols sont « morts » suite à l’utilisation de ces produits. Il a d’ailleurs racheter des terres il y a plusieurs années et les a laisser en jachère pour 4 ans avant d’envisager de les cultiver, pour les laisser se restaurer après cette forme de surmenage. Tout n’est donc pas rose derrière ces modes de production vivriers et à petite échelle ! 

Les agriculteurs népalais profitent pour certains de programmes internationaux qui les financent ou les aident à adapter leurs pratiques aux changements climatiques par exemple. Certains de ces programmes encouragent l’agriculture biologique, ce qui est une bonne nouvelle pour les terres et pour la santé des consommateurs. Mais globalement, le quotidien de ces agriculteurs semble être fait de débrouille, d’entraide et de simplicité. Il semble qu’il y ait aussi une grosse différence entre les agriculteurs propriétaires de leur terre et les ouvriers agricoles qui vendent leurs services à la journée.


Et quel avenir pour cette agriculture ? Du côté des jeunes, il semble qu’il y ait une rupture d’aspiration, une vie tournant autour de l’agriculture vivrière ne les fait pas rêver. La possibilité d’aller étudier et travailler dans d’autres pays, ou du moins de travailler à Katmandou semble dominer. Parmi les enfants de l’école où l’on se rend tous les jours, la majorité viennent de familles de paysans qui habitent aux alentours. Pourtant, à la question « quel est ton métier de rêve ? », difficile d’entendre agriculteur. Les départs à l’international sont un vrai enjeu pour le Népal : plus d’un ménage sur deux bénéficie de fonds envoyés par des membres de la familles ayant émigrés et ces fonds représente une part importante du PIB du pays. Cette « perfusion monétaire » est certainement la bienvenue puisqu’à côté de ça, le Népal est forcé d’importer une grande partie des marchandises qui circulent et sont vendus au sein de ces frontières. Le pays a donc perpétuellement un déficit commercial dû à ces importations. Bref, on sort du sujet de l’agriculture mais celui-ci n’est pas moins intéressant, car on s’interroge forcément pour l’avenir du pays quand on voit ce phénomène de « fuite des cerveaux ». Les jeunes népalais les plus brillants partent vers l’Australie, les USA ou d’autres pays, dans des domaines tels que la médecine ou l’informatique notamment. Dans les quartiers étudiants de Katmandou, on ne compte plus les agences privées qui proposent à ces étudiants des services de conseil et de préparation à certains concours pour pouvoir partir à l’étranger. Rien de très alarmant non plus, les campagnes sont encore bien habitées par les Népalais et les écoles sont remplies à craquer. On peut imaginer qu’au sein d’une fratrie, au moins un des enfants reste avec ses parents pour reprendre les terres.



Nous voilà donc à la fin de ce petit aparté sur les campagnes népalaises. C’est un sujet qui nous intéresse beaucoup et ces dernières semaines, nous avons découvert avec curiosité et admiration ce que c’est que d’être paysan au Népal. Les enjeux de leur secteur agricole semblent tout aussi complexes que ceux que nous pouvons connaître dans nos pays européens et on espère qu’ils arriveront dans les prochaines années à les relever leurs défis !