A l’Ouest de Katmandou, en bordure de la rivière Bagmati, se trouve un lieu particulier que l’on découvre dans une atmosphère solennelle, vous allez comprendre pourquoi. Il s’agit du temple de Pashupatinath, un lieu inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Les hindous le considèrent comme l’une des lieux les plus sacrés alors c’est très fréquenté, on y croise notamment des indiens en pèlerinage. Ils nous arrêtent pour faire des selfies comme si nous étions des célébrités. On se prête au jeu mais quand c’est plusieurs fois d’affilée ça peut devenir un peu gênant, on hésite même à faire payer ces séances improvisées… Il faut croire qu’on doit être particulièrement beaux, ou juste européens et donc très atypiques ici ? Ou alors ils nous confondent complètement avec des personnes qui seraient réellement célèbres ? Bref, à chaque fois on se pose surtout la même question : mais où vont finir ces photos ?! Probable qu’elles circulent sur les réseaux sociaux indiens et népalais, associés à d’étranges hashtags #AmericanActors #BestFriends #VirginieEfira (Oups c’était Elise Delerue…), #JohnnyDepp (Bon là il faudrait vraiment qu’ils soient malvoyants…)


Bref, après ces bêtises retrouvons un peu de sérieux et de solennité, car si le temple de Pashupatinath est célèbre c’est avant tout pour les crémations de personnes défuntes qui ont lieu au bord de la rivière plusieurs fois par jour. Des crémations publiques et accessibles à tous, qui sont menées en suivant le rite hindou. Dans le paragraphe qui suit, nous décrivons le déroulement d’une de ces crémations, si vous voulez vous éviter des détails qui peuvent être déstabilisants, sautez directement au paragraphe suivant.

Plus le défunt fut riche et important, plus la crémation peut avoir lieu proche du temple de Pashupatinath le long de la rivière. Sinon, des emplacements plus éloignés sont disponibles. Le jour où nous sommes présents, plusieurs crémations s’enchainent. Le rite hindou est assez codifié, le défunt doit d’abord être lavé et enveloppé dans des habits ou un linceul blanc (symbole de pureté). Le corps est transporté sur un brancard et recouvert de couronnes d’oeillets d’Inde, de belles fleurs d’un orange éclatant et considérées comme sacrées. Il est ensuite déposé le long de la rivière où une cérémonie a lieu, les proches défilent pour un dernier adieu. On ne vous cache pas que ce moment est particulièrement déchirant. On a beau être face à de parfaits étrangers, l’émotion est communicative. Après ça, le corps est transporté vers l’un des bûchers où il est installé et en partie recouvert de bois. Une tradition, particulière et que nous ne comprenons pas vraiment, veut que ce soit le fils aîné qui allume le bûcher en commençant par la tête du défunt. Avant de pouvoir procéder à cet acte, le fils en question doit d’abord s’être rasé entièrement le corps. Une crémation dure ensuite plusieurs heures. On apprendra d’ailleurs que chacune nécessite 350 kilos de bois. A la fin, les cendres sont dispersées dans la rivières.



Mais alors, derrière toutes ces méthodes qui nous sont bien étrangères, quelle est la signification ? Comment meurt-on quand on est hindouistes ? Et bien il faut avoir en tête que dans l’hindouisme, l’âme humaine est immortelle et vouée à la réincarnation. La mort n’est donc pas un sujet tabou, du fait qu’elle n’est pas une fin, une fatalité tragique, mais juste un passage. Les différents rîtes décrits plus haut n’ont que pour but de purifier l’âme afin de la préparer à cette transmigration vers un autre état considéré comme meilleur. Selon les croyances hindous, la crémation et la dispersion des cendres sont obligatoires car cela permet à l’âme de se détacher du corps.


De notre côté, nous vivons cette découverte avec calme, même si certains moments peuvent être étonnants voire déroutants. On pourrait trouver ça glauque ou effrayant mais non, ça ne l’est pas. L’ambiance du temple de Pashupatinath a quelque chose de mystique, d’envoutant, c’est aussi une invitation à comprendre des croyances et des rites bien éloignés de ce qu’on peut connaître en France. Les fumées envahissent le lieu et troublent l’air, les cendres sont dispersées directement dans la rivière. Depuis l’autre rive de la rivière, nous observons avec distance et décence ces crémations si particulières. Car cela pourrait sembler intrusif ou passer pour de la curiosité malsaine, mais le rapport à la mort est différent ici et moins pudique. Il faut vous figurer un quartier où les personnes ne viennent pas seulement pour ces cérémonies funéraires, c’est aussi un lieu - paradoxalement - très vivant ! Des enfants jouent et des marchands s’installent sur les rives qui font face aux crémations, on croise aussi des familles qui se promènent aux alentours du temples ou sont en pèlerinage. On est donc très loin de la solennité et du silence qui peuvent régner dans les enceintes closes et pudiques de nos cimetières. Pour nous il s’agissait d’un passage nécessaire pour comprendre la culture hindou. Pashupatinath n’est pas juste un temple, ce n’est pas juste une visite de plus. C’est une découverte troublante qui a de quoi rendre méditatif.



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Après cette expérience, nous entamons une marche à travers la ville pour rejoindre la commune de Bodnath et y découvrir l’un des plus grand stupa du monde, le Buddha Stupa. C’est un lieu magnifique, le stupa est entouré d’une rue circulaire où l’on trouve de belles façades tout en hauteur. Le quartier de Bodnath est aussi intéressant car plus de 10 000 tibétains sont venus se réfugier dans les environs lors de l’annexion du Tibet par la Chine. Une bonne partie des restaurants sont donc tibétains et on trouve plusieurs grands monastères bouddhistes. C'est aussi dans un de ces monastères que Mathieu Ricard vient séjourner plusieurs mois par an. C’est dans un boui-boui tibétain qu’on s’installe pour déjeuner, et ce midi nous sommes plutôt silencieux, peut-être l’effet de notre découverte de Pashupatinath.