Nous n'avions pas prévu de prendre ce train légendaire qu'est le transsibérien. Disons qu'il s'est imposé à nous comme une solution lorsque nous nous sommes faits refouler en tentant de quitter la Russie pour aller vers le Kazakhstan. Dans un premier temps, ce demi-tour forcé nous a un peu cassé le moral car il signifiait qu'on ne passerait pas au Kazakhstan et en Ouzbékistan. Et puis, nous avons réalisé que ce changement impromptu était une opportunité à part entière, celle de traverser la Russie et la Sibérie, pour rejoindre la Mongolie. Notre itinéraire originel s'est juste vu écrabouillé par une contrainte administrative. Ce n'est jamais plaisant, mais c'est aussi le jeu du voyage, on fait avec les contraintes et les imprévus !


  • La gare de Kazan, à l'Est de Moscou. C'est de là que partent tous les trains qui s'engagent sur le réseau transsibérien. En bas à gauche, la grande voyageuse avec son éternel panneau "Katmandou" qui nous suit depuis Paris.


Pour rejoindre la Mongolie, le trajet qui nous attend depuis Moscou parcourt près de 6000 kilomètres, et ce en 4 jours et demi. Ce long périple commence dans la gare de Kazan, dans l'Est de Moscou. C'est de là que partent tous les trains qui parcourent le réseau transsibérien. Et oui, car le "transsibérien" désigne avant tout le réseau ferré, avant de désigner un quelconque train !

De notre côté, nous avons choisi la 3ème classe, moins chère mais surtout plus populaire, un bon moyen de faire des rencontres et de profiter pleinement de l'ambiance à bord !

L'embarquement se fait rapidement, même si la contrôleuse semble interloquée de voir deux français. Elle nous parle en russe, on ne comprend évidemment rien mais on suppose un "bon voyage !". Nous allons faire en 4 jours autant de kilomètres que nous venons d'en faire en 3 mois, c'est parti !



A bord de ce train, l'ambiance est confinée et chaleureuse, les couloirs sont étroits alors on s'évite, on se gêne, on se range sans cesse pour se laisser passer, et on se remercie souvent : spasiba, spasiba. Malgré la réputation et l'attractivité du transsibérien, il semble que nous soyons les seuls touristes. Que des russes à l'horizon, et pour eux le transsibérien est un morceau de quotidien : on s'en va voir de la famille, un frère, une soeur, ou des parents restés en Sibérie. On se déplace pour rencontrer de potentiels clients ; ou encore pour rentrer chez soi après un travail rondement mené à Moscou. Certains montent pour quelques heures, d'autres pour des jours. Vous vous doutez qu'en allant jusqu'à la frontière mongole, nous avons donc eu le temps de voir nos voisins changer de visages à plusieurs reprises aux différents arrêts, et ce à n'importe quelle heure, parfois au beau milieu de la nuit. La journée, l'ambiance s'agite, les enfants courent dans les couloirs, escaladent les couchettes qui deviennent un véritable terrain de jeu. Leur bonheur contagieux attendrit les babouchkas (vielle femme/grand mère russe) qui sourient à leur tour. On y fait connaissance, on commence par échanger des sourires avec ses voisins, puis quelques mots, et si la mayonnaise prend, on partage de la nourriture voire même des shots de vodka faite maison. On croise aussi des dormeurs invétérés, capables de rester dans leur couchette des journées entières.

Lorsque la nuit vient, le calme s'installe doucement avant d'être carrément forcé par l'éclairage qui à 21h exactement s'éteint. L'installation dans nos couchettes en hauteur se fait alors au prix d'une escalade périlleuse. Dans la lumière tamisée, lorsque le décalage horaire nous empêche de dormir pendant des heures, il reste à se laisser bercer par l'ambiance sonore. La recette est la suivante : en trame de fond, ajouter le rythme lent des essieux claquant contre les rails. C'est constant, grave, assez lent pour être distinct, et après quelques jours ça finit par vous envelopper. A cela, incorporer la bande sonore d'un dortoir d'une soixantaine de courageux voyageurs : les ronflements des hommes, les cauchemars des enfants, les respirations lentes, les babouchkas qui retournent faire pipi dans un demi sommeil. C'est une belle aventure collective le transsibérien.



Les belles rencontres se font souvent avec les proches voisins. Au fond, on se doute que les étrangers qu'on aperçoit à l'autre bout du wagon sont certainement aussi sympathiques, et qu'après quelques mots ils pourraient ne plus être des étrangers, mais pour des raisons pratiques, mieux vaut copiner avec le voisin de couchette. En la matière, les russes sont excellents et ils nous ont offert de beaux moments.

Lorsque Elise était malade au début du trajet, elle a pu compter sur Marina, une russe d'une soixantaine d'années, et sur un monsieur d'origine tatare absolument adorable, pour prendre soin d'elle. Avec la barrière de la langue, le réconfort prend des formes plus simples mais pas moins efficaces : une main qui partage de la nourriture ou qui se pose sur l'épaule, des gestes indiquant qu'il faut se serrer les coudes. C'est gratuit, c'est tellement humain, ça fait du bien.


On croise aussi 3 collègues travaillant dans une entreprise de matériel agricole. On discute à l'aide de Google traduction, ça nous aide très souvent ! L'ambiance est bon enfant, l'un d'eux essaie de prononcer les quelques mots de français qu'il se rappelle avoir appris à l'école. Ils nous offrent un shot d'une sorte de vodka locale. C'est fort mais goûtu, on apprécie !



Dans les deux couchettes inférieures aux nôtres, un couple de jeunes ouzbekhs a pris place. Ils restent collés l'un à l'autre et semblent un peu méfiants. Pour conserver un peu de tranquillité, ils ont recours à une technique bien connue dans la 3ème classe : coincer un drap dans la couchette supérieure et le laisser pendre en rideau devant votre couchette. Le tour est joué, vous disposez d'un espace privé et presque intime. Derrière le drap ouzbekh, ça rigole, ça discute et ça glousse. Et finalement, malgré notre première impression mitigée, les tourtereaux finissent par sourire et même nous offrir de la nourriture en cadeau. C'est drôle comme certaines personnes peuvent être froides au premier abord et s'ouvrir comme par magie.


Et puis il y a eu des rencontres plus passagères et furtives : une babouchka qui a voyagé à nos côtés pour 2 jours et qui semblait nous crier dessus à chaque fois qu'elle nous adressait la parole. Deux familles avec de jeunes enfants qui ont cohabité en bout de wagon pendant 3 jours de trajet, ou encore un monsieur avec qui nous aurons échangé beaucoup de sourires mais aucun mots.


Au cours de notre voyage, on croise aussi beaucoup de militaires russes. A priori, s'ils vont vers l'Est, c'est qu'ils rentrent chez eux. La plupart ont entre 20 et 30 ans, mais d'autres dépassent la quarantaine. Certains semblent fatigués et dorment beaucoup. De notre côté, on évite d'avoir affaire à eux, on ne se voit pas s'engager dans une discussion géopolitique et les possibilités de fuir sont relativement limitées quand le train est en marche... En arrivant dans les environs du lac Baïkal, on croisera même à contre sens des trains de marchandises chargés de matériel militaire, notamment des chars neufs. Cela fait partie des quelques moments où nous avons été durement ramenés à la réalité de la guerre en Ukraine.



En quatre jours, on pourrait penser qu'on a le temps de beaucoup s'ennuyer, et pourtant non. C'est assez étonnant car le temps d'un Paris-Lyon, il nous est arrivé de nous ennuyer, mais pas à bord du transsibérien. On comprend qu'on est là pour longtemps, alors le train devient véritablement un lieu de vie et non une salle d'attente ambulante.

On trouve donc des moyens de s'occuper et de profiter. Nous avons déjà évoqué les rencontres, mais il y a aussi les jeux de cartes, l'écriture, et puis la lecture évidemment ! Elise s'est attaqué à Anna Karénine, une manière de rendre hommage à la littérature russe tout en parcourant les terres qui l'ont inspiré. On ne s'étalera pas sur les lectures de Thibault, Lettre à un jeune poète, suivi de Blade Runner. Autant dire que c'est totalement hors-sujet...


Côté logistique, les installations de ce train sont rudimentaires, solides, faites pour durer dans le temps. Les couchettes sont très étroites, s'il vous vient l'idée de vous retourner pendant la nuit, il faudra vous soulever, car en se laissant rouler c'est la chute assurée. Les draps sont fournies à l'arrivée à bord. Après deux journées, le besoin de se doucher a commencé à se faire sentir, nous avons alors découvert que cela était possible pour 1,5€. Une cabine entière est dédié à la douche, et c'est plutôt drôle de se faire secouer par le train en se lavant. Il y a évidemment un wagon servant de bar et de restaurant, lieu prisé par des groupes d'hommes dont le regard vitreux donne déjà un bel indice sur leur niveau d'alcoolémie.

Le personnel à bord est aussi très nombreux ! Pour chaque wagon, un duo de deux femmes (pas de sexisme ici, juste un fait : il n'y avait que des femmes) se relaie jour et nuit pour assurer plusieurs missions : le contrôle des billets et des passeports, le nettoyage, l'information aux voyageurs, la gestion des arrêts en gare et aussi parfois la discipline avec les enfants. Anecdote surprenante : on a remarqué que ces dames disposent de 3 uniformes adaptés à chaque situation, et bien entendu, un joli pyjama pour se reposer après avoir passer le relais. On a d'ailleurs bien mis deux jours à réaliser que la Natacha en uniforme et chignon était également la Natacha qui passait en pyjama nounours à 22:00...


Côté cuisine, nos 4 jours n'étaient pas franchement glorieux. La seule possibilité est d'accéder à de l'eau bouillante, grâce à l'énorme samovar situé à l'extrémité de chaque wagon (photo ci-dessous). Le plat le plus répandu à bord est donc ... les nouilles instantanées. La possibilité d'avoir de l'eau chaude permet quand même de se faire du thé ou de café à n'importe quelle moment, c'est plutôt sympathique ! Nous aurons quand même réussi un petit exploit, ressortir du transsibérien avec plus de nourriture qu'à l'entrée, et ce grâce aux dons de nos voisins qui en quittant le train nous abandonnaient leurs denrées. Il faut croire qu'on avait l'air maigre...



Bon, on s'est un peu étalé sur la vie confinée à bord de ce train, mais pour finir il ne faudrait pas oublier ce qui rend le transsibérien si particulier et ce qui en fait une légende : les paysages et les terres qu'il traverse ! On ne compte pas les heures passées à observer les forêts enneigées de bouleaux et de sapins, les villages sibériens faits de petites maisons en bois colorées, ou encore d'anciennes usines désaffectées au fin fond de la Sibérie. A peine après avoir quitté Moscou, la neige envahissait déjà tout le paysage, au fil des 4 jours son épaisseur n'a fait que grandir, accompagnée de températures inhabituelles pour des français, -15 voire -20 degrés...

Et puis il y a les arrêts dans les gares, très fréquents, qui offrent aussi leur lot de belles images : les fumeurs qui se précipitent dehors pour quelques minutes avant de rentrer frigorifiés, les contrôleuses qui revêtent leur tenue la plus chaude et leur incroyable chapka ornée de l'étoile communiste, les vendeuses de poissons fumés qui attendent les voyageurs sur le quai. Et encore d'autres détails, comme ce mécano qui à chaque arrêt met de grands coups de marteaux dans les amortisseurs où la glace est venue se coincer.




Le dernier jour de voyage, entre Irkoutsk et Oulan-Oude, nous longeons le lac Baïkal. Nous sommes évidemment frustré que nos visas ne nous laissent pas le temps d'aller le côtoyer de plus près, mais on en profite quand même quelques heures en restant scotchés à la fenêtre et en ne perdant pas une miette de ce qui ressemble plus à une mer qu'à un lac. Lorsqu'on le découvre le matin, une couche de brouillard stagne au ras de l'eau ; elle s'élèvera quelques heures plus tard. Dans les marais gelés qui bordent le Baïkal, on aperçoit des pêcheurs tranquillement assis au bord d'un trou et des familles faisant des glissades. Le lac lui-même n'est pas encore gelé, mais ça ne saurait tarder !



Vous l'aurez certainement deviné après ces quelques descriptions, cette expérience de 4 jours à bord du transsibérien nous a vraiment plu. Ce n'est pas un trajet comme un autre, c'est une expérience à part entière qui permet de traverser lentement des zones exceptionnelles tout en découvrant l'hospitalité des russes. C'est aussi une expérience un peu éprouvante, car nous aurons accumulé 5 heures de décalage horaire entre Moscou et Oulan-Oude, notre terminus. De quoi nous désorienter pendant le trajet (où le fuseau horaire change chaque jour) mais aussi pour les jours qui suivront. On gardera un souvenir fort de ces moments.


Sur ce, notre objectif est maintenant de passer la frontière russo-mongole. On espère que cela se fera sans encombre cette fois. A bientôt !