Tashi Delek ! (« Bonjour » en tibétain)


Après deux jours dans des trains de nuit, nous sommes arrivés à Lhassa, capitale du Tibet ! Quel bonheur !

Le plateau du Tibet est perché à 4000 mètres en moyenne, en le traversant cette nuit en train, nous avons même dépassé les 5000 mètres par endroit. Cela rend le sommeil un peu plus léger, mais on s’en sort plutôt pas mal comparé à la moyenne. L’altitude peut rendre vraiment malade, et même forcer certains à redescendre si les symptômes se font trop violents. On a juste le souffle un peu court mais on se sent bien au Tibet, on est heureux d’arriver dans cette zone si particulière. On comprend aussi que cette étape tibétaine est la dernière avant d’atteindre le Népal, notre dernière étape donc !

Traverser le Tibet n’est pas un voyage comme un autre, on est obligé de passer par une agence car il est tout simplement interdit de voyager en autonomie. On ne sait pas vraiment à quoi s’attendre car c’est la première fois qu’on participe à un voyage organisé. Bien sûr, on a pas mal d’informations sur le programme qui nous attend, et surtout on a un itinéraire plutôt clair : on doit passer 2 jours à Lhassa puis prendre la route en mini-bus pour traverser le Tibet jusqu’à la frontière népalo-chinoise. C’est donc un voyage de 5 jours en collectif qui nous attend. Notre groupe se compose d’une dizaine de personnes que l’on va découvrir !


Dès le début, on est bien accueilli à notre sorti de la gare, un chauffeur de l’agence nous attend, en guise de bienvenue il nous passe autour du cou des écharpes blanches. On retrouvera ce geste plusieurs fois au cours de la semaine. Se faire porter dans des voyage de groupe n’est pas dans nos habitudes, mais il faut avouer qu’il y a des luxes sur lesquels on ne crache pas et la chambre d’hôtel luxueuse qu’on découvre en fait partie. Certains hébergements et sanitaires traversés pendant ce voyage nous ont appris à rester digne en toute circonstance - enfin on a essayé ! - alors après ça, le luxe à un petit goût supplémentaire que ne connaissent pas ceux qui s’y sont habitué. La simplicité d’une salle de bain propre équipée de l’eau chaude vous arrache un sourire de malice quand vous avez connu plusieurs jours de suite les toilettes « turcs - chinois » et des douches tièdes ou froides…


Notre première impression de Lhassa est mitigée, de fait ça ressemble aujourd’hui à une grande ville chinoise. Certains quartiers faits de routes en quadrillage et de grandes tours sont sortis de terre en quelques années à peine. Heureusement le centre ville garde un charme fou et a été bien préservé, comme la plupart des temples et du mythique Potala palace. Ces restes du passé ont survécu à l’instauration du communisme et à la révolution culturelle chinoise. On a donc la chance de pouvoir traverser ces lieux chargés d’histoire et d’observer la culture tibétaine s’y déployer pleinement. Loin d’un folklore entretenue pour les touristes, la culture tibétaine et bouddhique est bien vivante dans les rues de Lhassa, où l’on peut observer les pèlerins venus des campagnes. Certains se contentent de marcher en famille autour du principal temple de la ville, tandis que d’autres font des pèlerinages bien plus difficile physiquement : la méthode consistant à rejoindre Lhassa à pied en se couchant par terre tous les 3 pas avant de se relever pour recommencer. On a aperçut quelques uns de ces pèlerins depuis le train qui nous mena à Lhassa, se couchant par terre au milieu de la route, se relevant pour parcourir 1 mètre avant de recommencer. Cette pratique est vraiment impressionnante, les hommes et les femmes qui s’y dévouent sont couverts de poussière de la tête aux pieds. On en voit beaucoup dans le centre ville de Lhassa, ils se laissent dépasser par la foule, ne prêtent pas attention à l’extérieur, comme hypnotisés dans leur pratique.



Notre première journée débute par la visite du monastère de Drepung. Construit au XVe siècle, il est le plus grand monastère du Tibet. Il abritait jusqu’à 8000 moines, aujourd’hui on en compte plus que 600. Ce monastère était même la résidence des Dalaï Lama avant qu’ils ne déménagent au Potala Palace lorsque le régime des lamas fut mis en place. En bref, le régime des lamas est une théocratie, dans laquelle l’autorité politique et religieuse est détenue par un seul homme : le Dalaï Lama ! Ce régime est mis en place au milieu du XVIIe siècle et finira en 1959 avec l’exil du 14e Dalaï Lama vers l’Inde. Un exil dû à la création de la « région autonome du Tibet », comprenez « quand la Chine décide d’annexer le Tibet ». En termes de distorsion politique du vocabulaire, les « régions autonomes » qui bordent la Chine sont un peu du même niveau que certaines « République Démocratique de blablabla… » ailleurs dans le monde.

Le monastère est perché dans les montagnes qui bordent Lhassa, et ça s’apparente plutôt à un village tant le nombre de bâtiments est important. Les bâtiments ne dépassent pas 3 étages et ne sont pas très hauts. Leur disposition un peu chaotique laisse courir d’étroites ruelles escarpées entre eux. On y croise beaucoup de tibétains qui viennent y déposer des offrandes et des prières. A cette période, la majorité d’entre eux sont des habitants des campagnes tibétaines, des nomades ou des fermiers. Leur travail se fait moins intense avec l’hiver, ce qui leur laisse le temps de venir à Lhassa. Ce voyage annuel leur permet de vendre leur production - viande de yak notamment - mais aussi de visiter les principaux temples bouddhistes. Ces voyages à la fois économiques et religieux se font en famille. Il n’est pas rare de voir 3 générations de la même famille gravir ensemble les marches du monastère. Les plus petits trébuchent et tombent sur les genoux avant d’être consolés par leurs aînés ; tandis que les plus anciens gravissent les escaliers lentement, accroché au bras d’un enfant déjà adulte.



Les couleurs des intérieurs tranchent avec la sobriété des façades blanches et des encadrements de fenêtres noirs, qui sont noirs pour capter la chaleur autour des fenêtres et blanches en symbole de paix. Une fois le pas de la porte franchi - du pied gauche c’est la coutume - c’est une explosion de couleur dans chaque pièce : le orange et l’ocre dominent, suivi de bleu, de jaune, de vert… Les couleurs représentent les éléments terrestres dans le bouddhisme. Nous n’avons pas le droit de prendre de photo une fois à l’intérieur des monastères et des temples. On ne peut donc que les décrire : la place des tissus est importante, ils recouvrent quasiment tous les murs, les plafonds, les colonnes de bois qui soutiennent les étages. Dans les salles destinées à l’enseignement et au champ des moines, des sortes de sièges sont organisés en rang, il s’agit plutôt de petits promontoires en bois que de réels sièges, car les moines s’y assoient en tailleur. Ils viennent y chanter tous les matins très tôt avant que les portes du monastère ne s’ouvrent aux pèlerins et aux curieux. Sur chaque place sont déposées une épaisse veste de moine et une coiffe, attendant de pouvoir réchauffer leur propriétaire quand il viendra chanter ses mantras au petit matin. Dans ces intérieurs, on observe aussi beaucoup de statues, le plus souvent il s’agit de Bouddha mais on peut aussi croiser d’autres divinités qui prennent des visages souvent assez monstrueux.


On visite aussi le palais d’été de Lhassa, qui servait également de résidence au Dalaï Lama et de lieu de réception pour accueillir des dirigeants et des ministres d’autres pays. Ce lieu est verdoyant et apaisant, mais au-delà des apparences, il invite à méditer sur cette situation particulière qui est celle du Tibet, et plus largement sur les zones du monde qui se voient annexées par un voisin plus ou moins conciliant. Se balader et flâner dans ces salons de réception qui ont vu passer des dirigeants du monde, c’est voir un lieu de pouvoir étatique réduit à l’état de musée. Imaginez la même chose à l’Elysée, un guide s’adressant à des touristes hagards, déambulant en buvant des canettes de coca : « Suivez le guide s’il vous plaît, et voici le bureau présidentiel qui donne sur les jardins, c’est là que les présidents français s’installaient quand leur souveraineté existait encore ». Dystopique hein ? Ici c’est une réalité. Visiter les restes d’un état déchu, c’est parcourir un squelette institutionnel, découvrir les arcanes d’un pouvoir qui pour un certain temps et une certaine population devait sembler immuable. Notamment parce qu’ici, ce pouvoir concentrait politique et spiritualité en un seul homme, on vous laisse imaginer la force symbolique du bonhomme sur sa propre population !



On commence notre deuxième journée au Tibet avec la visite du Potala palace, l’édifice le plus mythique du Tibet. Très reconnaissable par sa taille gigantesque, sa forme et ses couleurs blanche et rouge. La partie blanche était consacrée à la « politique » tandis que la rouge était dédiée à la religion et à l’étude du bouddhisme. Il s’agissait de la résidence et du lieu de pouvoir des Dalai Lama avant que le dernier (le 14e) soit forcé de quitter le Tibet pour se réfugier en Inde où il vit actuellement. Une nuit de mars 1959, le Dalaï Lama du partir face à l’avancer des troupes chinoises qui réprimaient l’insurrection tibétaine. Pendant 2 jours et accompagné d’une escorte, il marcha pendant les nuits et se cacha durant les journées afin de fuir la Chine. Il n’est jamais retourné dans le Potala palace. Il a d’ailleurs renoncé à son pouvoir politique en 2011, mais cela ne lui permet pas pour autant de revenir au Tibet.

C’est cet édifice exceptionnel qu’on visite aujourd’hui, les parties les plus anciennes datent du VIIe siècle mais la quasi totalité a été reconstruite et agrandie au cours du XVIIe siècle. Le bâtiment est perché sur un mont et ses treize étages jaillissent sur une hauteur impressionnante. Durant le XVIIIe et XIXe siècle, il faisait partie des bâtiments les plus hauts du monde.

La visite commence par un long escalier qui permet de s’élever au niveau des premiers étages. Les façades sont simplement magnifiques. On passe autant de temps à observer le palace qu’à observer les tibétains autour de nous. Pour beaucoup ils sont en habit traditionnel, et cette visite est une forme de pèlerinage. A l’intérieur, les espaces sont un peu confinées. On passe de pièces en pièces, le plus souvent les plafonds ne sont pas très hauts. Dans l’une des salles, on découvre même les tombes des anciens Dalaï Lama, elles s’élèvent sur plusieurs mètres de hauts, le long d’un couloir sombre qui permet de les admirer l’une après l’autre.

Malgré la décoration chargée et le gigantisme du lieu, il s’y dégage une atmosphère de sobriété et de simplicité. Ce n’est pas particulièrement confortable ou fastueux. La vie d’un Dalaï Lama est faite d’ascèse, de travail, de sobriété. Notre guide nous expliquait que ce dernier ne dormait qu’environ 3h, un homme bien occupé donc… L’exil a peut-être un bienfait, peut-être s’autorise-t-il aujourd’hui quelques grasses matinées ?



On passe aussi par le temple Jokhang, qui est entouré par la rue Barkhor, plus célèbre rue de Lhassa pour ses commerces et son ambiance. Le temple Jokhang est le premier lieu de pèlerinage pour les bouddhistes tibétains, avant même le Potala palace. Lorsqu’un bouddhiste arrive à Lhassa, il y a de forte chance qu’il se rende directement au temple Jokhang ! Mais alors pourquoi ce lieu est-il si vénéré ? Et bien il s’agit du premier temple bouddhiste du Tibet, il fut édifié en 639 pour accueillir une statue du Bouddha qui aurait été sculpté de son vivant. Les pèlerins prient devant le Jokhang en pleine rue, ils s’allongent et se relèvent sans cesse. 



Lors de ces premières journées tibétaines, on découvre aussi progressivement les personnalités au sein de notre groupe de voyage. Il y a 5 portugais qui voyagent chaque année ensemble depuis 15 ans. Leur seule règle pour choisir leur nouvelle destination est de ne pas retourner sur le continent de l’année précédente. Il y a aussi Ching qui vient de Singapour et qui voyage seul. Un homme passionnant car passionné : réalisateur de documentaires, créateur d’entreprises de pêche et propriétaire de vignobles en Géorgie. Chaque jour, Ching avait une surprise à nous dévoiler sur lui-même, jusqu’au dernier jour : « Au fait je ne vous ai pas dit, j’ai acheté une île aux Maldives, quand je l’aurai aménagé vous pourrez tous venir » - regards éberlués dans l’assemblée - « Merci Ching ! ». Et puis il y avait Mike (de Nouvelle-Zélande) et Margaret (de Hollande) avec qui ont s’est bien marré. La mayonnaise met un peu de temps à prendre au sein de ce groupe hétérogène, mais on finit par tous bien s’entendre, et tant mieux car le 24 décembre est déjà là, et il s’agit de réveillonner ensemble ! C’est un peu particulier un Noël au Tibet loin de sa famille, mais on passe un bon moment !