Nous voici en Inde ! Et plus précisément à Varanasi, aussi appelé Bénarès, l’une des villes les plus sacrées du pays aux yeux des Hindous. Aussi parce que cette ville borde l’un des fleuves les plus sacrés du monde, le Gange. Pour arriver là, nous avons dû prendre deux trains depuis la frontière népalaise sur la journée, et autant vous dire que les trains indiens ne sont pas de tout repos ! Alors quand on arrive tard le soir dans notre petit hôtel de Varanasi, c’est un soulagement et on s’effondre presque instantanément dans les bras de Morphée. 



Varanasi est une ville qui chamboule, qui fatigue, qui invite à la méditation tout en fournissant l’environnement le plus hostile à cette activité. On se rend compte dès notre arrivée en Inde que le séjour ne va pas être de tout repos. Une simple déambulation dans les ruelles de la ville est une explosion sensorielle, une sur-sollicitation permanente qui met nos nerfs à rude épreuve. Nous nous étions habitué au calme et à la tempérance des népalais, il va nous falloir prendre le rythme indien, et celui-ci est bien plus soutenu ! Ici, les couleurs joyeuses des saris se mêlent aux reflets du Gange ; on passe des magnifiques odeurs de la cuisine indienne aux plus nauséabondes dans certaines ruelles. Les klaxonnes stridents des motos et des tuktuks nous font rentrer la tête dans les épaules en gémissant. Et nous sommes sans arrêt sollicités par des marchands, des bateliers, des conducteurs, ou de simples passants qui veulent se prendre en selfie avec nous… Varanasi est un lieu où l’on passe dix fois par jour de la fascination à l’agacement, de l’enthousiasme à la fatigue ou à l’incompréhension. Cet ascenseur émotionnel est rapidement énergivore mais on en prend tout de même plein les yeux.

Notre adaptation se joue aussi sur le plan météorologique, puisqu’en descendant vers le Sud, c’est le mercure qui grimpe ! En l’espace de deux semaines, nous sommes passés des froides montagnes de l’Annapurna aux plaines indiennes, et ici, c’est minimum 35°c tous les après-midi. Il fait donc très chaud, et cette chaleur s’accumule dans les pierres de la ville qui la rendent ensuite pendant plusieurs heures. Heureusement, le Gange est là pour apporter de l’air et de la fraicheur sur ses rives tandis que les ruelles étroites permettent de fuir facilement le soleil.

Pour ces raisons à la fois émotionnelles, sensorielles ou météorologiques, notre découverte de l’Inde est enrichissante mais très fatigante. Et pour rendre l’expérience un peu plus corsée, il fallait bien entendu qu’une sorte d’indigestion vienne s’inviter ! La maligne a cloué Thibault au lit pendant une journée complète avec une rapidité effrayante. Mais par chance, après une nuit de sommeil, il s’est réveillé en homme nouveau avec une énergie retrouvée. La cuisine indienne est délicieuse, l’hygiène de leur cuisine l’est certainement un peu moins… 


Historiquement, Varanasi est considérée comme l’une des plus anciennes cités habitées au monde. La tradition la fait remonter à 3000 ans avant notre ère, même si la réalité se situe plus probablement autour du XIIe siècle avant J.C. Aujourd’hui, la ville est le principal lieu de pèlerinage d’Inde. Elle est principalement dédiée à Shiva, l’un des trois principaux dieux hindous aux côtés de ses compères Brahma et Vishnu. Au passage, ces 3 dieux composent ce qu’on appelle la Trimurti hindoue. En bref : Brahma représente l’élément créateur, Vishnu l’élément conservateur et Shiva l’élément destructeur. Mais revenons à nos moutons.

Du côté des spécialités locales, la ville et la région est connue pour sa soie et ses étoffes. On prend donc le temps de visiter un petit atelier de soie et un magasin. Bon, la suite est un peu facile à deviner, d’un côté il y a notre volonté de ne rien acheter (parce que pas de place dans nos sacs et un budget qui nous fait déjà la tête…), de l’autre il y a toute l’expérience d’un vendeur qui nous offre du thé dans son salon avant de nous couvrir littéralement de soie. Les faits sont là : c’est juste magnifique. Alors on finit par céder et on repart avec une belle écharpe. Notre volonté de préserver notre porte monnaie n’était finalement pas si forte…


En termes architectural, la ville est surtout connue pour ses « ghats », ce qui signifie « escaliers » en hindi. Les ghats sont donc les quais et grands escaliers qui permettent d’accéder au fleuve. Lors de la saison de la mousson, ils sont en grande partie recouverts sous les eaux du Gange, mais lors de notre passage nous pouvons en profiter. Et c’est certainement le lieu le plus intéressant de la ville : déjà, c’est ici que se déroulent les cérémonies religieuses qui animent la ville matin et soir. Ces cérémonies attirent les pèlerins et les touristes qui s’amassent sur les quais parfois plusieurs heures avant le commencement afin d’avoir les meilleures places. Une partie du public assiste aussi à ces cérémonies depuis les bateaux, qui s’agglutinent pour former de véritables gradins flottants.

Les ghats sont avant tout des lieux de vie, où l’on peut observer des ouvriers en train de construire de beaux bateaux en bois, des enfants s’agiter dans l’eau et des familles venues en pèlerinage. Mais c’est aussi sur ces quais que la mort s’invite et se montre, côtoyant la vie de très près. Car au beau milieu de l’agitation qui caractérise cette cité populeuse et grouillante, les crémations des personnes décédées à Varanasi s’enchainent sans interruptions. Difficile d’échapper à la question de la mort et de la finitude quand les fumées des crémations à ciel ouvert envahissent la ville. Lorsqu’on passe à proximité des crématoires, les corps sont posés à même le sol sur des civières en bambou en attendant de trouver un emplacement pour la crémation, et les brasiers s’enchainent de jour comme de nuit. On estime qu’il y en a environ 300 chaque jour. C’est triste bien sûr, mais ce n’est pas que triste. C’est aussi intéressant de comprendre les rites qui entourent la mort hindou, et aussi ce qui fait que mourir à Varanasi est considéré comme une chance, quelque chose de magique : pour un hindou, la mort à Varanasi a valeur de délivrance puisqu’elle aurait le pouvoir de mettre fin au cycle des réincarnations et d’offrir un aller-simple vers le Nirvana, le paradis. C’est une mort que les hindous viennent chercher, qu’ils désirent. Imaginez-vous quelques secondes l’engouement si le fait de mourir dans une ville précise de France permettaient aux catholiques d’accéder au paradis à coup sûr… N’allez pas imaginer que ces situations sur lesquelles on tombe sont glauques pour autant. Le spiritualité et les rites qui entourent les funérailles font que l’impression générale n’est pas morbide et repoussante. C’est évidemment bouleversant et cru mais ce n’est pas « trash » pour autant.

Par contre, il faut avouer que notre rapport à la mort se trouve bouleversé, il chancelle. La mort occidentale est pudique, cachée, lointaine le plus souvent et parfois même oubliée dans une forme de déni enfantin. A tel point qu’elle semble toujours s’inviter par surprise. Un déni peut-être nécessaire à nos modes de vie qui côtoient parfois l’absurde ? De notre côté, on s’estime chanceux que la mort ne se soit que peu invitée dans nos vies jusqu’à maintenant. Mais être confronté à ces situations nous fait réfléchir et nous tourmentent. Parce que la mort a la mérite de poser de bonnes questions : qu’est-ce que tu vas laisser ? Comment on se souviendra de toi ? Est-ce que la vie t’apporte satisfaction ? C’est rapidement vertigineux, mais nécessaire et intéressant.



Revenons à des sujets moins angoissants ! De belles rencontres nous attendaient à Varanasi et ça fait du bien car sur les quelques semaines qui ont clôturé notre séjour népalais nous avons fait moins de rencontres de voyageurs. Nous croisons notamment Damien dans notre première auberge, et puis après une discussion au milieu de la rue, on décide de se revoir dans les jours qui suivent. Il semble qu’on ait pas mal de choses à se raconter ! Et en effet, Damien a des choses a raconté car c’est un sacré baroudeur ! Il est venu jusqu’ici seul en moto en partant de la banlieue lyonnaise. Et il est passé par la route qu’on souhaite prendre pour rallier la France, alors il a plein d’informations utiles à nous partager. On échange sur nos expériences de voyage, nos vies françaises aussi. A ce propos, c’est drôle comme après tout ce temps à voyager, parler de ce qu’on était en France finit par sonner un peu faux avec le temps… Dire « Mon métier était … Et j’habitais là… » finit par n’être plus qu’une description d’une version lointaine et dépassée de nous-même.

Côté rencontre, on est aussi arrêté lors d’une balade sur les ghats par une voix : « Thibault, Thibauuuult ! ». C’est plus que surprenant dans un environnement où déjà personne ne parle français, mais aussi et surtout où personne n’est censé vous connaître ! C’est la voix de Elsa, qui est assise à quelques mètres avec Simon son compagnon. La coïncidence est impressionnante puisqu’Elsa et Simon sont deux français qui étaient au même stage de méditation que Thibault il y a plusieurs semaines de cela à Katmandou. C’est génial de retrouver par hasard des têtes amicales. On enchaine donc sur un verre, un dîner, et puis on se revoit encore deux fois dans les jours qui suivent. De beaux moments partagés dans cette ville de Varanasi.



Varanasi, c’est donc un lieu fascinant et fatigant, un espace très poétique où la vie intense tutoie la mort. Et c’est certainement l’un des meilleurs endroits au monde pour regarder le soleil se coucher sur le Gange tandis que le ciel accueille une nuée de cerf-volants que les habitants déploient depuis leur toit-terrasse.